[Note de lecture] François Ruffin, le peuple, la gauche et le travail
20.09.2022
Représentants du personnel

Dans un court livre, le journaliste et député (LFI) François Ruffin appelle la gauche à réinvestir la question du travail afin de reconquérir l'électorat populaire, notamment ouvrier.
Ces dernières années, la droite et le centre ont fait du travail un marqueur identitaire et un marchepied électoral. Le fameux "travailler plus pour gagner plus" contribua à l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007. Dix ans plus tard, la promesse d'une libéralisation du travail et de son code, cette levée des contraintes étant énoncée comme la condition d'une réussite personnelle, fut utilisée par Emmanuel Macron pour gagner la présidentielle de 2017.
Ce positionnement politique, parfois accompagné d'un déni de la dimension collective, conflictuelle et difficile du travail (en témoigne l'évitement du mot "pénibilité" par l'actuel président), a contribué à façonner l'image d'une gauche "recroquevillée" sur des valeurs de solidarité (minima sociaux, RMI) et des valeurs sociétales (le mariage pour tous), alors même que les questions du travail, du droit d'expression des salariés et de leurs droits étaient au centre du programme du PS mis en oeuvre au début des années 80 avec les lois Auroux.

Par la suite, il n'est pas interdit de penser que les 35 heures ont paradoxalement aidé la droite et le centre à figer la gauche dans cette représentation. Il était alors facile d'accuser la gauche de brader la "valeur travail" au profit des loisirs, et de lui reprocher de ne plus croire à la possibilité de créer des emplois autrement que par le partage des postes existants. D'autre part, la flexibilité et l'augmentation de productivité réalisées par les entreprises françaises à l'occasion des 35 heures, au prix d'une dégradation des conditions de travail, ne semblent pas avoir été prises en compte par une gauche convertie au souci de la compétitivité (voir le CICE mis en place par François Hollande), ces tendances touchant d'abord les personnels de production et de service, lesquels devaient accepter de plus une modération salariale. Des personnels de plus en plus séduits, au fil des scrutins, par l'abstention et par le choix de l'extrême droite.
Dans les catégories populaires, cette représentation d'une gauche coupée du travail est désormais durablement installée, c'est du moins ce qu'affirme François Ruffin dans son dernier livre, "Je vous écris du front de la Somme" (1). Le député de la France insoumise, qui est aussi journaliste, polémiste et documentariste (2), cite ainsi de nombreuses réactions d'électeurs rencontrés lors de sa campagne, type : "Je vous aime bien, mais je ne peux pas voter à gauche, j'aime bien le travail". Plutôt rude à entendre pour un représentant du camp de Jaurès et de Blum ! Et paradoxal : le travail a été longtemps à gauche synonyme de fierté, "le travail qui socialise, qui offre une forme d'émancipation, individuelle et collective, un travail universel".

Le journaliste s'attriste des nombreux commentaires entendus, toujours dans les milieux populaires, contre les "cas soc", les "assistés", autrement dit contre ceux encore moins bien lotis qu'eux, type : "Des feignasses ! La France subventionne des bons à rien ! Et qui paie pour eux, qui ?" Le député fait le lien entre ces discours et l'angoisse populaire née du mouvement de délocalisations de nombreuses unités industrielles de sa région, la Picardie, qu'il s'agisse du textile ou du pneu. A ses yeux, le Front national (Rassemblement national aujourd'hui) est le parti qui a su tenir le discours le plus séduisant pour ces salariés dont l'emploi était menacé. Comment ? En mettant dans son programme, dès 1995, une forme de protectionnisme et de contrôle aux frontières. Résultat : un vote d'extrême droite en pleine expansion chez les ouvriers, et une candidate arrivant à deux reprises au deuxième tour de la présidentielle.
Comment la gauche peut-elle échapper à ce piège ? Que peut-elle avoir à dire aux travailleurs ? Ici, François Ruffin ne met pas en cause les allocations. Il veut au contraire les rendre universelles au motif que si certains ne les touchent plus parce qu'ils n'en ont pas besoin financièrement, ils en viendront un jour à ne plus vouloir contribuer à notre système redistributif.
Pour raccrocher les wagons avec les catégories populaires, donc, François Ruffin plaide pour un discours musclé, voire binaire, afin de rendre à nouveau visibles les inégalités passées sous silence par le RN, et réactiver ainsi une forme de lutte de classes : "Votre salaire a triplé ? Votre retraite aussi ? Non ? Ah bon, pourtant les grandes fortunes ont triplé sous Macron". Autre exemple : "Vous pouvez compter avec moi jusqu'à 3 ? 1, 2, 3 ! Pendant ces 3 secondes, Jef Bezos, le patron d'Amazon, s'est enrichi de 10 000€ (..) Et Amazon ne paie pas d'impôt sur les sociétés en France !"

Ensuite, il plaide pour une forte revalorisation des métiers socialement utiles mais mal payés, notamment ceux de la deuxième ligne, mis en évidence durant la crise sanitaire. Il fustige à ce propos la position d'Elisabeth Borne, alors ministre du travail, s'en remettant au seul dialogue social pour les revalorisations salariales dans les branches : "Qu'allait-elle faire pour relever le niveau du salaire horaire, limiter les temps partiels, rendre les horaires plus prévisibles ? Rien ! (..) Par la grâce du dialogue social, d'une mystérieuse Providence, la Justice serait rétablie sur terre (..) Sans surprise, nous n'avons abouti à rien d'intéressant".
Enfin, il faut donner un horizon commun à la société, soutient le député en citant le juriste Alain Supiot : "Les sociétés humaines ne sont pas des troupeaux. Elles ont besoin pour se former et subsister d'un horizon commun. Un horizon, c'est-à-dire à la fois une limite et la marque d'un au-delà, d'un devoir-être qui arrache leurs membres au solipsisme (3) et à l'autoréférence à leur être".

Cet horizon commun, c'est l'impératif écologique qui le commande, enchaîne le député qui appelle de ses voeux "une économie de guerre climatique" pour "canaliser toutes les énergies du pays, tous les capitaux, tous le savoir-faire, toute la main d'oeuvre" vers le même but.
Et François Ruffin de faire la liste des métiers amenés à se développer pour répondre au défi climatique : "L'économie de guerre climatique réclame du travail, beaucoup de travail. Du travail dans les champs, si l'on souhaite moins d'intrants et pour replanter les haies. Du travail pour colmater les canalisations qui fuient. Du travail pour isoler les maisons. Du travail pour, dans chaque quartier, dans chaque canton, installer un centre de réparations, de vélos, de téléviseurs, d'ordinateurs, de pantalons, d'automobiles". Mais aussi du "travail pour les liens" avec des "centaines de milliers d'emplois d'assistantes maternelles, accompagnantes d'enfants en situation de handicap, auxiliaires de vie", etc.
Un peu court tout cela ? De l'aveu même de son auteur, ce livre est une forme de brouillon, écrit très vite, faute de temps. On ne saurait donc en attendre de grands développements. Mais il touche juste quand il évoque ces rencontres, ces drames individuels et familiaux, le spectre du chômage et du racisme, ce passé industriel. Surtout, François Ruffin signe là un acte politique, comme pour réveiller son camp en lui assignant la tâche de "reconquérir ces terres ouvrières". Attention, dit-il, si la gauche gagne dans les grandes villes, elle perd très largement dans les villages alentours, or "il faut gagner la France des Gilets jaunes, des bourgs, les France périphériques". Un pari pas du tout évident à gagner si l'on partage les analyses, très intéressantes, de Denis Maillard sur les gilets jaunes et sur notre nouvelle société d'asservissement à la disponibilité...
(1) "Je vous écris du front de la Somme", François Ruffin, Les Liens qui Libèrent, 131 pages, 10€.
(2) Citons les films "Debout les femmes" et "Merci patron !"
(3) Solipsisme : "Théorie d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité que lui-même" (Le Robert)
Alloc contre travail ? Non mais allô, quoi !
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En lançant, lors de la fête de l'Humanité, qu'il préférait une société vivant de revenus du travail plutôt qu'une société survivant d'allocations, l'ancien candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, a déclenché un tohu-bohu médiatique et politique. A gauche, certains lui ont vertement opposé "le droit à la paresse" voire le projet d'allocation d'autonomie universelle. De très nombreux politiques et experts ont aussi réagi pour dire qu'il ne fallait pas opposer travail et solidarité nationale d'une part, et pour souligner, d'autre part, que les allocataires ne choisissaient pas l'inactivité. Sur le réseau social Twitter, la chercheuse Dominique Meda a souligné que le discours stigmatisant les allocataires allait historiquement de pair avec la remise en cause de l'Etat providence. La sociologue a également insisté sur la baisse du taux de couverture de l'indemnisation chômage, certains demandeurs basculant dans les minima sociaux : "Il y a certes 355 000 emplois vacants, mais il reste encore 5,9 millions d'inscrits à Pôle emploi. Nous devons donc continuer à garantir des niveaux d'indemnisation du chômage et du RSA convenables et créer des emplois décents (..) Notre Etat social doit à la fois investir dans la reconversion écologique pour créer de nombreux emplois et continuer à garantir une protection décente à tous ceux qui n'accèdent pas à ces emplois". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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